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Faurum
je cite landry : J'ai tapé sur Google « Vrais dyslexiques ». Surprise, j'y retrouve des gens que je connais comme Colette Ouzillou, Elizabeth Nuitz, Stanislas Dehaëne et d'autres que je suis heureux de découvrir : Dr Wettstein-Badour, Brigitte Etienne, Michelle Sommer et Thérèse Cuche. J.G. Dutoit.
Bref, je ne suis pas seul et les personnes de terrain tirent les mêmes conclusions : comment un apprentissage par la méthode globale affecte durablement, comment elle empêche de mettre en place la mémoire de travail ? On marche sur la tête, c'est sûr. Mais qui marche sur la tête ? Ça, c'est la bonne question. Problèmes de méthodes ?
Soffionne pour Landry
Voici un texte du Dr Wettstein-Badour.
Quelles sont les pratiques à l’école maternelle et quels dangers recèlent-elles ?
Elles sont toutes identiques, à quelques détails près. Chaque enfant dispose dès la rentrée scolaire d’une étiquette sur laquelle est inscrit son prénom en lettres…majuscules ! On y associe sa photographie ou un dessin pour lui permettre de relier ce graphisme inconnu à sa propre identité. Puis après quelque temps, photographie ou image est retirée et ne reste que le prénom. L’enfant doit alors le retrouver parmi ceux des autres élèves de sa classe.
Parfois dès la première année de maternelle, puis systématiquement en moyenne section, sont introduites des étiquettes portant les jours de la semaine, les mois, les saisons, puis tout un ensemble de « mots-outils » que l’enfant est censé mémoriser et « reconnaître » dans un texte lorsque, selon la formulation consacrée, il les « fréquentera » de nouveau. Il s’agit, selon les enseignants qui pratiquent cette pédagogie de « familiariser l’enfant avec l’écrit » et non de lui « apprendre à lire ».
Pourquoi cette approche de la lecture et de l’écriture constitue-t-elle un danger ?
Essentiellement parce qu’elle est de nature totalement globale.
Les promoteurs des méthodes globales ou semi-globales pensent, sans avancer la moindre preuve, que les mots sont lus dans leur ensemble, sans identification isolée des lettres qui les composent. Or, les neurosciences nous apprennent que le cerveau est incapable de procéder ainsi.
Pour résumer ce que j’ai largement explicité dans de nombreuses publications, antérieures (1*) , la rétine transmet aux deux hémisphères cérébraux des formes entièrement analysées et réduites à des points, des traits, des boucles, quelle qu’en soit la nature. Les aires visuelles occipitales postérieures qui les reçoivent répondent à la question « Qu’est-ce que je vois ? » Ces aires sont capables, dans l’hémisphère droit, de recombiner instantanément, à partir d’un détail perçu, une forme contenant ce détail et correspondant à un objet connu de l’environnement du sujet. Il s’agit alors d’une image qui sera transmise prioritairement aux structures plus antérieures du cerveau droit lesquelles traiteront cet objet visuel, de manière analogique, par comparaison d’ensembles, comme il le fait pour toutes les images. Par contre, si ce mode de traitement ne donne pas de résultat satisfaisant, c’est l’hémisphère gauche qui va s’imposer pour prendre en charge le traitement de cette information en partant des éléments les plus simples jusqu’à ce que ceux-ci, combinés entre eux de proche en proche, coïncident avec des données stockées en mémoire. Ce mode de traitement s’applique à toutes les informations qui ne livrent le sens du message qu’en associant un son aux signes graphiques visualisés. Qu’il s’agisse de lettres, d’idéogrammes ou de signes musicaux, toute compréhension de ceux-ci nécessite un passage par un élément sonore. Il ne s’agit plus ici d’une image qui se comprend instantanément par comparaison avec une autre image mais d’un concept qui nécessite la connaissance d’un symbolisme élaboré qui ne se comprend que par connaissance des liens qui unissent sons et graphismes.
Quelle que soit la nature d’une langue, les mécanismes qui mènent à la découverte du sens sont identiques. Dans les langues idéogrammiques, l’association du son et du graphisme se produit au niveau du mot qui n’est pas perçu dans sa globalité mais analysé fragment après fragment. Dans les langues phonogrammiques dont le français fait partie le lien s’établit entre les lettres ou groupe de lettres et les sons de base de la langue orale (les phonèmes). Les recherches en ce domaine montrent clairement que le travail d’association sons/signes graphiques est effectué très majoritairement par l’hémisphère gauche dans toutes les langues écrites.
Les langues phonogrammiques nécessitent donc de savoir bien identifier les phonèmes et les graphèmes qui leur correspondent, à la fois au niveau de leur forme et de l’orientation de celle-ci dans l’espace.
Or, différencier des sons phonologiquement proches (par exemple les phonèmes correspondants aux graphèmes b/d, f/v, s/ss/ch, n/m, etc.) est un exercice si difficile que 40% des enfants de 5 ans ½ ne parviennent pas à les réaliser. Il en est de même de la reconnaissance des différences fines qui permettent d’identifier les lettres. Plus les enfants sont jeunes, plus le pourcentage de ceux qui sont incapables d’y parvenir est élevé. Ceci est dû au fait que la maîtrise de ces compétences nécessite la mise en place de réseaux de neurones aux multiples connexions qui s’établissent à des rythmes variables au cours du temps.
Il est utile de rappeler à ce propos que le cerveau de l’homme dut attendre plusieurs millions d’années avant d’être capable d’associer des sons et des signes graphiques. Il y a plus de 300.000 ans, l’homme de Néanderthal possédait les mêmes structures cérébrales que nos contemporains mais il n’a jamais pu réussir à établir les connexions indispensables entre ses neurones pour parvenir à lire et écrire. Beaucoup plus proche de nous, l’Homo Sapiens a découvert le dessin mais il lui a fallu attendre environ 30.000 ans pour associer graphismes et paroles. Il n’y est en effet parvenu qu’il y a environ 5.000 ans lorsque l’écriture fut découverte, à peu près à la même époque, en Mésopotamie et en Egypte. Maintenant, 6 à 7 ans seulement sont nécessaires pour passer du stade embryonnaire à celui de lecteur en franchissant avec une accélération stupéfiante tous les stades de l’évolution du cerveau humain ! Cette fantastique histoire devrait nous rendre particulièrement respectueux des mécanismes d’action que met en œuvre le cerveau pour apprendre et nous inciter à les respecter le mieux possible au fur et à mesure de leur découverte. Elle devrait aussi nous permettre de comprendre que si l’Homme veut progresser dans sa quête de la connaissance, il doit s’appuyer sur les savoirs acquis antérieurement pour en mettre d’autres en évidence. C’est en procédant ainsi que l’on est passé de l’âge des cavernes à celui des voyages spatiaux. Nous n’y serions pas parvenus en faisant table rase du passé pour redécouvrir le monde à chaque génération. Mais le XXème siècle a balayé cette sagesse en imposant, de manière très généralisée des modes d’apprentissages basés sur le constructivisme. La transmission des savoirs, considérée comme un frein au développement de la créativité, a été remplacée par une démarche qui doit conduire à découvrir seul la connaissance à partir de quelques « indices ».
Dans le domaine de l’apprentissage de la lecture, on espère ainsi que quelques indications suffiront à l’enfant pour comprendre un texte écrit. A titre d’exemple, le directeur d’un institut de recherche pédagogique, rêve d’écoles dans lesquelles les classes de CP seraient transformées en « communauté de chercheurs » (*2), les élèves étant placés en situation de découvrir le sens de l’écrit comme Champollion le fut pour percer le mystère des hiéroglyphes. Ce promoteur de la pédagogie moderne semble oublier que Champollion n’a pu parvenir à découvrir le sens de cette écriture que parce qu’il maîtrisait parfaitement plusieurs langues anciennes. Son mérite est d’avoir su utiliser ce savoir - qui lui avait été transmis - pour avancer dans l’inconnu. Mais, même si certains veulent retenir la thèse de ce pédagogue, pour des raisons que je ne développerai pas ici, comment peuvent-ils espérer que l’enfant découvre les liens unissant graphismes et sons à partir de la reconnaissance des prénoms, comme cela est proposé dès la petite section de maternelle ? Les prénoms sont probab
lement les mots dans lesquels apparaîssent le plus d’irrégularités dans les correspondances phonographémiques en raison de l’usage et des difficultés nées de leurs diverses origines linguistiques. Comment l’enfant peut-il trouver le fil d’Ariane le conduisant des sons entendus aux signes observés à partir de Nathan, Aude et Antoine, Philippe, Franck ou Frédéric, Caroline, Cécile ou Karim, Morgan, Lilian ou Jonathan ? On pourrait multiplier les exemples de cette sorte. Il suffit aux parents de consulter la liste des prénoms de la classe de leurs enfants pour mesurer l’étendue du chaos que cette pratique génère dans de jeunes cerveaux en quête de repères pour parvenir à comprendre le monde qui les entoure.
On ne manquera pas de me faire remarquer que, cependant, la très grande majorité des enfants, même les plus petits, parviennent, en général, à reconnaître leur prénom parmi ceux des autres enfants, ce qui conforte les utilisateurs de cette pédagogie dans le bien fondé de leur approche. Mais peut-on pour autant dire que ces enfants lisent ? Certes non. Ils mettent en œuvre une stratégie d’identification de quelques éléments clés qui attirent leur attention dans le mot (longueur, place des traits qui montent ou qui descendent, boucles, cercles, etc.) mais leurs possibilités de « lecture » s’arrêtent à une interprétation associée à des « hypothèses » plus ou moins exactes concernant la signification du mot. Il suffit de modifier la place de quelques lettres dans le prénom pour s’apercevoir que l’enfant « lit » dans la grande majorité des cas le même mot quel que soit l’ordre de ses lettres. Si on écrit Caroline, Coraline ou Corlarine, il y a de très fortes chances pour que l’enfant « lise » Caroline dans tous les cas. On comprend ainsi comment s’installent les premières confusions qui resteront souvent profondément ancrées dans le cerveau de l’enfant ainsi que l’habitude de deviner les mots au lieu de les « lire ».
Enfin, l’école maternelle demande aux enfants d’utiliser, pour écrire, des lettres majuscules… d’imprimerie.
Cette technique constitue un défi au bon sens. Ces lettres ne sont, en effet, employées que de manière très minoritaire dans les textes puisqu’elles ne sont présentes qu’en début de phrase ou de nom propre. L’enfant les rencontre donc peu dans les livres qui sont mis à sa disposition. Apprendre les lettres majuscules et les assembler pour faire des mots ne peut en aucune manière aider l’enfant à se « familiariser » avec la lecture puisqu’il utilisera ultérieurement un symbolisme différent. Alors, pourquoi ce choix ?
Réaliser par écrit des lettres minuscules demande une bonne maîtrise de la motricité fine. S’il est possible, dans certains cas, d’apprendre à lire à de très jeunes enfants, il est exceptionnel de pouvoir leur faire exécuter correctement les graphèmes de l’écriture manuscrite. Or, il est très important que lecture et écriture soient apprises conjointement car ces deux savoirs se renforcent mutuellement. C’est un des rares points sur lesquels nos « pédagogistes » actuels insistent avec raison.
Les enfants de trois à quatre ans étant, sauf cas rarissimes, incapables d’écrire en minuscules, il fallait donc trouver une solution pour les faire accéder à l’écriture malgré cette incapacité neurologique. On a donc cru bon d’utiliser les majuscules d’imprimerie qui ne sont pratiquement constituées que de traits et de boucles orientés dans l’espace. Quel autre argument que la facilité pourrait justifier une pratique aussi aberrante ?
Soffionne pour Landry