adultes dys et emploi
Je suis dyslexique
J’étais, je suis dyslexique, je serais dyslexique
En préambule je voudrais m’adresser à tous ceux qui souffrent de la dyslexie et leur dire que s’il n’existe pas de remède miracle, malgré tout, avec beaucoup de travail, il est tout à fait possible d’avoir une vie sociétale ainsi qu’une vie de famille des plus heureuses. Après avoir lu de nombreux témoignages et d’appel au secours sur ce site (Apedys), entre autre, je me suis aperçu d’une certaine détresse de la part des parents et des enfants. Bien que ces derniers s’expriment moins et pour cause.
Je m’appelle Armel B., je suis dyslexique et heureux. J’ai 36 ans, marié à une femme hors du commun, père de deux petites filles et très bien intégré socio-professionnellement. Voila 13 ans que je suis Officier-Marinier dans la Marine Nationale avec la spécialité de mécanicien. Actuellement je suis responsable de toute la maintenance et de l’entretien d’un bateau. Si la dyslexie a été un frein à mon désir de devenir Officier et d’avancer rapidement dans ma carrière, malgré mes compétences, il n’en est pas moins qu’aujourd’hui elle me sert pleinement pour accomplir mon travail à haute responsabilité nécessitant une grande confiance en soi. J’ai toujours été bien noté par mes supérieurs et je ne me fais pas plus de soucis que d’autres personnes pour mon avenir.
C’est pourquoi je ne considère pas ma dyslexie comme une maladie ou un trouble psychologique au sens médical des termes. En ce qui me concerne, il s’agit d’une façon de pensée différente qui n’est pas encore prise en compte dans le catalogue des schémas sociaux défendus par de nombreuses institutions. En conséquence de quoi, cette structure mentale nécessite d’être travaillée pour être adaptée au monde social auquel elle appartient (bien que de nombreux dyslexiques, connus ou non, aient pu exercer leur talent sans savoir ce qu’ils étaient réellement). Ce monde, source d’interrogation constante pour un dyslexique, démarre par le passage obligatoire dans les locaux de l’Education Nationale. Celle là même qui va, durant toute la scolarité du dyslexique, le faire culpabiliser de « sa nullité ». Personnellement j’ai eu le droit d’être traité de : « cancre de radiateur », « de gâcheur d’intelligence », d’ignorant, d’idiot, de personne qui ne réussira jamais dans la vie, de future clochard,… par cela même qui s’étaient engagés à élever les plus faibles au rang des plus fort. Les premiers professeurs qui m’ont soutenu, je les ai rencontrés pendant ma deuxième et dernière terminale (j’ai à mes actifs scolaires trois redoublements dans le secondaire et un dans le supérieur). Si l’on pense que mes ressentiments à l’égard de l’Education Nationale sont dures et iniques, et bien ils ne sont rien comparé à l’éventail de rancœur que je conserve en moi à l’encontre du corps enseignant que j’ai côtoyé ( je me refuse à tout amalgame avec l’ensemble de la profession) et qui, au lieu de m’exhorter à m’accrocher, à combattre mes difficultés et à réussir, n’a jamais cessé de me cataloguer dans le clan des mauvais élèves de Daniel Pennac. Frustré et vivant en ostracisme de l’Ecole, des dérives comportementales auraient réellement pu se produire si mes parents ne m’avaient pas soutenu et élevé dans le droit chemin. Je veux leur rendre hommage, eux qui ont su, sans jamais vraiment appréhender le problème, me faire comprendre que si nous sommes exclus d’un système du fait de notre différence, il existe d’autres chemins tout aussi convenables et que cela n’empêche pas de devenir un Homme bien.
Concevez, chers parents, que l’enfant dyslexique vit dans un étau. D’un côté la structure éducative qui offre le premier pas dans la vie sociale le rejette comme incompatible avec le système, et de l’autre la famille, synonyme d’amour et de soutien, qui peine à le déchiffrer. J’ai connu ce chemin de souffrance durant mon adolescence. Le terme est un peu fort, j’en conviens. Cependant je me souviens encore de mes angoisses et de mes frustrations lorsque, plein de bonne de volonté, je tentais de faire mes devoirs du soir. Assis devant mon bureau, la tête posée sur mes mains, impossible de retenir une leçon, d’écrire un mot ou de comprendre une règle de grammaire, perdu dans des pensées agréables qui sont semblables à des rêves… De fait, nous nous sentons différents, et à cet âge là, « idiot » est le sentiment qui revient le plus souvent. Un idiot qui se connaît, l’est beaucoup moins, certes, seulement il n’y a aucune déficience neurologique chez un dyslexique ; alors l’idiotie est à mettre de coté.
Le secret c’est de rechercher la meilleure façon d’adapter un fonctionnement cérébral avec celui le plus communément utilisé. Le dyslexique doit être un chercheur. Commencer par connaître son propre fonctionnement et ensuite celui des autres, ou vice versa. Exercice difficile ! Il ne se passe pas une journée sans que je fasse une analyse complète des situations et des événements dans lesquels je me situe. Sans arrêt je me compare aux autres sans pour autant développer de sentiments de supériorité ou d’infériorité, là n’est plus la question. Je passe du temps à simplifier ma communication : phrases courtes, mots simple. A force, j’ai fini par aimer les mots compliqués. A force d’étudier les autres nous nous étudions nous-mêmes. Passage essentiel pour se protéger contre les remarques désobligeantes sur notre différence.
Je tiens à faire une parenthèse pour préciser que je ne suis pas médecin et n’appartiens à aucune profession liée à l’orthophonie. Je suis une personne dyslexique qui a réussi à surmonter les inconvénients qui influent sur son chemin de croissance. Je pense sincèrement être tiré d’affaire en ce qui concerne ma normalisation dans la société, cela ne fait aucun doute. Cependant, il reste encore un long travail pour arriver à maîtriser toute « la substantifique moelle » de la dyslexie.
En parallèle de ce questionnement permanent il est un autre exercice essentiel que je pratique. La compréhension des mots. Pour l’avoir expérimenté sur moi-même, je pense sincèrement que ce travail est la base pour aboutir à une expression écrite et orale convenable. Par exemple, même si ce texte n’est pas parfait et fait ressortir ma dyslexie (les professionnels le verront tout de suite) je n’aurais jamais pu l’écrire il y a quelques années.
Les noms propres et les noms communs désignant animaux, personnes ou objet n’ont pas de grande difficulté à être absorbés par un dyslexique. Demandez nous d’imaginer un éléphant et de décrire ce que l’on voit. La réponse sera de ce calibre :
“Il y a un éléphant gris qui est dans une savane de couleur marron clair avec des zèbres à l’horizon à côté d’un arbre semblable à un baobab, un lion passe derrière ; je vois très bien le volume de l’éléphant ainsi que celui des animaux qui complètent le décor. Il y a aussi de l’herbe, des cailloux, des gros et des petits. Le ciel comporte quelques nuages mais je ressens bien la chaleur du climat. Quelques oiseaux passent dans le ciel…”
Ce que vous venez de lire est compris par vous dans l’ordre chronologique où je l’ai écrit. Vous avez commencé par l’éléphant et vous y avez associé les différents éléments du décor au fur et mesure que vous les avez lu. Et bien, pendant que vous déroulez tous ces éléments un-à-un pour comprendre, le dyslexique voit tout ce tableau (et plus encore) de façon instantanée. Au moment même où vous nous demandez d’imaginer un éléphant toute la peinture, le décor, la sculpture, la fresque… apparaissait dans son ensemble. Cela vous paraît incroyable ? Vous êtes septiques ? Et bien sachez que cela peut aller encore plus loin ! Ce tableau représenté dans notre tête, nous pouvons l’animer. Il s’agit de faire pivoter notre « œil de vision » autour des éléments qui composent la peinture. Il en sort une vision en 3 dimensions qui, même si notre attention n’est pas focalisée dessus, génère de nombreux détails. La caméra du film Avatar (en 3D) est un bon exemple pour imaginer le fonctionnement d’un œil imaginaire. Imaginer que cet œil qui nous fournit les images dans notre tête peut librement circuler dans le décor de droite à gauche, de haut en bas. Cet «instantané » que nous sommes capables de créer, met en exergue à la fois la vitesse de fonctionnement de notre cerveau par sa capacité à représenter autant de choses autour d’un mot mais aussi le temps perdu dans une conversation, ou dans une lecture, par le déroulement du petit film lié au mot et qui nous fait perdre le fil… Ce dernier point nous est souvent reproché comme de l’inattention.
Est-ce que pour comprendre le fonctionnement cérébral d’un enfant dyslexique un non-dyslexique doit-il se mettre à sa place ? Personnellement, je pense que cette démarche est vouée à l’échec car irréalisable. Nous parlons ici d’une structure mentale qui est le moteur de la pensée. On ne peut pas, bienheureusement, changer cette structure.
S’il est donc facile pour une personne dyslexique d’associer des images à des noms commun, qu’en est-il des mots qui désignent des concepts comme le temps, la philosophie, la psychologie, la politique, l’économie, l’histoire… ? Pas simple. Pourquoi ? Le dyslexique à besoin de visualiser ce qui est dit. Il a donc besoin d’une banque de donnée pleine d’images associées à des mots. Comment créer, parce qu’il s’agit bien de conception, des images liées à des concepts ?
En ce qui me concerne, je prends énormément de temps à apprendre les mots que je ne visualise pas. Chez un dyslexique les mots sont plus souvent reconnus que connus (la connaissance est un concept). Il faut toujours approfondir la définition. Pour cela je « prends » le mot et visualise son orthographe avec chacune de ses lettres. Puis, à l’aide de sa définition la plus simple (Larousse junior), je recherche et crée des exemples. Il ne me reste plus qu’à modéliser une image associée au mot. Celle-ci peut-être faite en pâte à modeler, dessiné ou tout simplement imaginer dans l’esprit. L’important c’est de retenir cette image associée au concept. Cela peut prendre du temps, surtout au début. Ce qui compte n’étant pas la quantité mais bien la qualité.
L’activité cérébrale, chez un dyslexique, consiste en une grande vélocité. La régulation de cette activité peut-être contrôlée. La mise en place d’un interrupteur est facilitée par la méthode Davis. J’ai personnellement, suivi cette méthode avec une facilitatrice à qui je dois beaucoup. J’ai obtenu des changements radicaux sur une période de cinq jours.
Grâce à toutes ces méthodes, ma dyslexie est moins un handicap qu’un support pour la vie. Elle me freine parfois encore pour évoluer professionnellement, mais ce n’est qu’une question de temps pour que je réussisse à l’apprivoiser complètement. Du moins je m’y attèle tous les jours. Il n’y a rien d’insurmontable pour une personne dyslexique. Je n’ai connu la méthode D. que très tard (35 ans) et même si elle m’a permis de trouver de nouvelles voies d’approche j’avais déjà acquis, seul, de nombreuses bases de connaissances et de compréhension de mon problème. La pugnacité est la clef de la réussite. J’aimerais m’adresser aussi aux mères qui se sentent décontenancées. Ne mettez pas tous vos espoirs sur la scolarité des enfants. Il existe d’autre possibilité d’épanouissement pour vos enfants. L’essentiel réside dans la compréhension de la lecture et le savoir écrire. Cependant les activités manuels, créatifs ou contemplatifs mettent à l’aise les personnes dyslexique (j’ai toujours eu du plaisir à faire du théâtre, de la musique, du dessin, du sport, à voyager,…) Mais quoi qu’il en soit, rechercher la forme d’intelligence de vos enfants et encouragez-les à ne pas accroire qu’ils sont idiots parce qu’ils fonctionnent différemment. Pour certaine personne, le savoir être est plus important que le savoir faire.
Armel B.